Thierry Terret
Délégué ministériel aux Jeux Olympiques et Paralympiques
Retranscription de l’entretien
« L’essentiel de ma mission est de contribuer à construire l’après 2024. »
T.Terret, décembre 2020
Retranscription de l’entretien oral du 15 décembre 2020
1 – Monsieur Terret, pour commencer, pouvez-vous nous présenter votre parcours et nous dire comment on arrive à devenir délégué ministériel aux Jeux Olympiques et Paralympiques au sein du gouvernement français ?
En 2017, lorsqu’à Lima le Comité International Olympique (CIO) a désigné les villes pour accueillir les Jeux en 2024 à Paris et en 2028 à Los Angeles, dans la foulée, le gouvernement, qui avait déjà travaillé le dossier dans le cadre de la candidature, a demandé à chaque ministre de désigner un référent sur le dossier des Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de façon à ce que chaque ministère puisse laisser à ces personnes le soin de soutenir, porter les mesures, les dynamiser et les présenter aussi dans un cadre interministériel. À cette époque j’étais recteur d’académie en charge de l’académie de Rennes, j’avais un parcours antérieur de recteur d’académie et, antérieurement à mes mandats de recteur, j’avais dirigé un centre de recherche et d’innovation sur le sport à l’Université Lyon 1. J’étais un universitaire, historien du sport et de l’olympisme. Le recoupement de ces deux logiques, l’une relevant de la haute fonction publique et l’autre de la recherche dans le domaine du sport, m’a amené assez naturellement à me retrouver dans cette mission de délégué ministériel. De plus, comme il se trouve que les recteurs sont à la fois dépendant du Ministère de l’Éducation Nationale et du Ministère de l’Enseignement Supérieur, je me retrouve avec une double casquette de délégué ministériel aux Jeux Olympiques et Paralympiques, comme il y en a pour chacun des ministères les plus directement associés au dossier olympique dans la perspective des Jeux de 2024. Nous nous réunissons tous entre référents (délégués ministériel ou autres statuts) autour du délégué interministériel (pour qu’il n’y ait qu’une seule voix pour l’État), Jean Castex, qui pendant longtemps, depuis le départ, a assuré cette mission en tant que « DIJOP » : Délégué Interministériel aux Jeux Olympiques et Paralympiques. Puis, depuis qu’il est parti à Matignon, c’est le préfet Michel Cadot qui a repris cette mission en se glissant vraiment dans les habits de Jean Castex, si je puis me permettre cette formulation, parce que c’est un dossier dans lequel on ne peut pas déroger, on ne peut pas innover au jour le jour. Il y a un certain nombre de règles, de façon à ce qu’en 2024, et pas en 2025 ou 2023, mais en 2024, tout soit prêt pour accueillir la jeunesse du monde pour ces deux fois quinze jours qui seront regardés par absolument tout le monde. La mission d’un délégué ministériel est à la fois de porter les mesures à l’échelle d’un ministère, de représenter ce Ministère dans les réunion interministérielle (il y a un comité de coordination, désormais présidé par Michel Cadot), mais aussi d’impulser, de suivre, d’évaluer des mesures prises dans le cadre de ce que l’on appelle l’héritage des Jeux Olympiques et Paralympiques, parce qu’il faut anticiper la valorisation des Jeux au-delà de 2024. C’est donc l’essentiel de ma mission que de contribuer à construire cet après 2024. Comment ? À la fois par des mesures quasi-symboliques de reconnaissance et de soutien de ce que font les établissements scolaires et universitaires (je pense ici au label « Génération 2024 » qui consiste à reconnaître par un label les politiques d’établissements, allant de l’école élémentaire jusqu’aux universités, en faveur du sport et de l’olympisme) et aussi par le suivi de mesures propres à la pratique sportive à l’école, en plus de l’éducation physique et sportive obligatoire, par exemple comme lorsque le Ministre a annoncé en 2017 l’ouverture de mille nouveaux dispositifs de type « section sportive scolaire » : des sections qui permettent de pratiquer davantage. Dans ce cas il me revient, avec la direction générale du Ministère, de vérifier que cette mesure s’applique effectivement. C’est donc en fait vingt à vingt-cinq mesures qu’il me revient de porter, de valoriser, et sur lesquelles je reviens précisément lors des réunions avec les autres ministères.
2 – Vous êtes donc délégué ministériel aux Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Parlons alors de Paris 2024, en commençant par un retour sur leur histoire et le rapport entre Paris et les Jeux qui sont, on le sait, assez chargés. Pouvez-vous nous présenter la vision que vous avez de cette histoire, des Jeux et du Baron Pierre de Coubertin, qui avait installé les Jeux modernes.
C’est une longue histoire qui commence à la fin du XIXème siècle. Même s’il y a eu avant les initiatives de Coubertin des précédents en France, en Europe et aux États-Unis pour faire émerger des compétitions ou des rencontres qualifiées d’ « olympiques » ou d’ « olympiades » selon les cas, elles n’ont pas connu le succès de celle qui prend son essor en 1896 à Athènes à la suite d’une véritable campagne de conviction menée par le Baron Pierre de Coubertin. Campagne de conviction qui l’amène d’abord à un premier échec, qu’il dépasse, puis à une réussite qui se déroule en France dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne où il a invité des représentants du monde entier (sportifs mais aussi diplomatiques) et parvient à valider l’idée de restaurer les Jeux de l’Antiquité. Dès lors ces Jeux se dérouleront presque sans discontinuité jusqu’à nos jours. « Presque » parce que pendant les deux guerres mondiales il n’y a évidemment pas eu de Jeux, puis on sait qu‘aujourd’hui Tokyo doit reculer ses Jeux de quelques mois en raison du contexte de pandémie. On voit donc que les JOP sont aussi dépendants de contextes qui les dépassent. C’est aussi la raison pour laquelle ils n’ont jamais été neutres. Ils sont saturés en enjeux politiques, économiques, industriels, touristiques… et pas simplement en enjeux sportifs.
3 – Merci pour ce retour historique, il est vrai que ces Jeux sont centrés sur un objet à la fois national et international qui est le fait de faire rencontrer des nations en un endroit pour faire du sport. Ils s’ancrent aussi localement. Pour revenir sur cette question des Jeux de Paris en particulier : comment présente-t-on aujourd’hui des Jeux comme ceux de Paris 2024, alors qu’ils sont eux-mêmes attachés à un ensemble de communes et de municipalités, de territoires de la banlieue parisienne dont les cadres sociaux et économiques sont extrêmement différents les uns des autres. Finalement, les « Jeux de Paris » ne sont pas vraiment les Jeux de Paris, mais ceux de la région parisienne, avec cette banlieue qui disparaît du nom. Comment gère-t-on aujourd’hui l’image des territoires des Jeux sans qu’ils soient mentionnés directement ?
Les Jeux ont souvent été organisés à côté de la ville hôte, de la ville majeure. C’est même presque la règle pour les Jeux d’hiver. On pense à Vancouver, pour prendre cet exemple, qui est très très loin des pistes. Mais les Jeux d’été n’échappent pas à cette règle non plus et, puisqu’on discute de Paris, prenons les Jeux de 1924, les seconds pour Paris après l’expérience de 1900 : l’essentiel de ces Jeux s’est déroulé à Colombes, pour des raisons qui peuvent être politiques, financières, de développement territorial… Il n’en reste pas moins que c’est presque la règle et que Paris 2024 n’échappe pas à cela. D’ailleurs, le CIO lui-même a évolué sur sa doctrine. Si on lit avec attention la charte olympique, notamment son article 32, on y trouve désormais, je cite : « l’honneur et la responsabilité d’accueillir les Jeux Olympiques sont confiés par le CIO, en principe, à une ville qui est élue hôte des Jeux Olympiques. Lorsque cela est jugé approprié, le CIO peut désigner plusieurs villes, ou d’autres entités tels que des régions, États ou pays en tant qu’hôte des Jeux Olympiques ». Le CIO reconnaît donc officiellement cette possibilité d’élargir. Rien n’interdit alors à un territoire plus vaste qu’une seule ville de candidater, mais il faut donner des garanties à la fois financières, hôtelières, logistiques et aussi de plus en plus sécuritaires. Il faut également des garanties d’accessibilité, des garanties juridiques, des garanties, je dirais aussi, d’image, qui réduisent, de fait les options possibles. De plus, l’article 34 de la charte olympique précise que, je cite encore : « priorité doit être donnée à l’utilisation de sites et d’infrastructures existants ou temporaires », réduisant d’autant les possibilités. Dès lors, dans la compétition qui oppose les villes candidates, il est généralement attendu de mettre en avant une ville phare, car elle dispose déjà d’un potentiel de reconnaissance et donc des garanties que n’offre pas une ville moyenne. C’est le cas de Paris. Rien n’aurait interdit de déposer la candidature de Saint-Denis ou de Saint-Ouen, mais le socle des votes favorables au CIO aurait été initialement très faible, parce que Saint-Denis n’était pas connu. La stratégie consistant à afficher une ville phare avec des satellites, où l’effet héritage à ce moment-là joue à plein, est sans doute, dans le contexte actuel et au regard des attentes des membres du CIO, la meilleure des stratégies. Alors on peut comprendre la frustration d’organiser la moitié des Jeux sans être la ville qui restera dans les mémoires, mais ce serait oublier que l’héritage ne se réduit pas à une image. En 1968, Grenoble s’est imposée sur les cartes du monde entier, c’est vrai, mais Autrans, un petit village de montagne, est devenu un haut lieu du ski nordique pour plusieurs décennies, quand bien même le village est resté dans l’ombre de Grenoble lors des Jeux d’hiver. Donc on le voit, le choix d’une entité régionale aurait pu être possible dans les Alpes en 1968, comme aujourd’hui en Île-de-France. Pour revenir à 2024, cela aurait donné lieu à une affiche/une image « Paris-Île-de-France », pourquoi pas. Ça aurait été un choix peut être plus judicieux, plus réaliste aussi, au regard de la territorialisation du dossier, d’autant que le terme « Île-de-France » a le mot « France » à l’intérieur, donc c’est une connotation qui en terme de rayonnement international aurait été intéressante. Mais le choix a été de se concentrer sur la ville phare, Paris, parce que c’est peut-être la ville la plus connue au monde et c’était une manière de capitaliser, de s’assurer d’ores et déjà, dès le départ, un socle de votes favorables de certains membres du CIO.
4 – On comprend donc très bien l’utilité d’avoir une stratégie en début de candidature et de mettre en avant un lieu phare. Peut-on revenir rapidement sur ce qu’il reste des sites olympiques de 1924 et leur rapport aujourd’hui aux Jeux de 2024 ? Il n’en reste plus beaucoup, il y a la piscine de la porte des Lilas, le centre sportif de Colombes qui, j’imagine, a été très remanié. Que reste-t-il aujourd’hui de cette époque ?
Vous avez résumé à peu près tout ce qu’il reste en termes d’infrastructures. Il y a aussi des choses qu’on voit moins : la ville de Colombes a été reliée beaucoup plus rapidement à Paris-centre à cette occasion par exemple, c’était dans le contrat. Mais en termes d’infrastructures même, vous avez dit l’essentiel : il ne reste pas grand-chose. Le village (1924 a donné lieu à la construction du premier village olympique dans l’histoire des Jeux) était constitué de petits chalets de bois qui n’ont pas résisté très longtemps au-delà des Jeux olympiques.
5 – La question patrimoniale est très importante dans la constitution de la candidature de Paris 2024 où il est évident que les auteurs de la candidature ont souhaité utiliser l’image de la ville phare, mais aussi de ses monuments et de ses icônes. Comment intégrer des éléments patrimoniaux aussi importants dans un projet olympique ? Et comment installe-t-on des structures éphémères au pied de ces monuments pour mettre en valeur la culture parisienne et le centre de Paris ? On voit que c’est un élément central pour les organisateurs mais comment cela se concrétise avant et après l’événement, puisqu’on sait que parfois il y a des changements entre la candidature et la réalisation finale.
Oui, des petits changements, il y en a encore eu ces derniers jours. Le lègue architectural le plus important des Jeux sera sans conteste le nouveau quartier de la Plaine-Saint-Denis, construit pour être le village olympique et rendu ensuite à la population. Cela représente quand même quelque 2200 logements familiaux, 900 logements spécifiques, un parc, des voies de mobilité douce, 120 000 m² de bureaux et de services… C’est considérable. Ça l’est d’autant plus que des choix techniques et urbanistiques assez stimulants quand on les lit de l’extérieur, sont à l’œuvre. Ils reposent notamment sur des défis environnementaux, des défis d’accessibilité, un défi tout à fait inédit de revalorisation des espaces fluviaux également puisque la Seine traverse le site. Tout ça est extrêmement séduisant et intéressant mais Paris-ville, Paris intra-muros, est un espace déjà saturé. C’est un espace où les opportunités foncières sont quasiment inexistantes et où l’héritage des Jeux Olympiques et Paralympiques doit cibler d’autres priorités que la plus-value patrimoniale stricto-sensu. Dans le programme héritage de la ville qui a été dévoilé en 2019, l’ambition d’embellir Paris est explicite mais, en dehors de l’Aréna II et du quartier de la Porte de la Chapelle, on voit bien que les choix de la municipalité passent par d’autres leviers que le lègue architectural proprement dit. J’ajoute, pour revenir sur les questions environnementales, que c’est un point essentiel pour Paris intra-muros comme pour l’ensemble des sites franciliens et au-delà. C’est un enjeu majeur parce que, d’abord, c’est obligatoire. Le CIO a redéfini ses missions et a introduit un principe de respectabilité/de responsabilité environnementale dans sa charte, qui précise : « encourager et soutenir une approche responsable de l’environnement », et indique aussi qu’il s’agit de « promouvoir le développement durable dans le sport » et donc que les Jeux doivent être « organisés en conséquence ». Ce principe s’impose donc à la ville hôte qui doit désormais l’inscrire explicitement dans son volet héritage, ce que Paris 2024 a fait dans son dossier de candidature, sans doute plus qu’avant, puisque dans l’agenda 2020 du CIO c’est devenu absolument rédhibitoire. C’est un point sur lequel le dossier parisien a apporté une vigilance toute particulière, d’autant plus qu’à cette époque on savait déjà que l’enjeu environnemental connaîtrait à Paris même des débats d’importance. Cette sobriété environnementale est un incontournable de la construction de l’héritage et le dossier parisien le prend bien en compte. La sobriété budgétaire, compte-tenu des milliards dépensés, l’est tout autant. En tout cas elle devrait l’être et, sur ce dossier, Paris 2024 est évidement attendu. Il est attendu parce que l’histoire des Jeux Olympiques c’est aussi une histoire des dérives financières, des éléphants blancs comme on dit, de toutes ces infrastructures souvent terminées à la va-vite pour être prêtes à l’ouverture des Jeux, parfois mal-construites (l’expérience de Rio par exemple) et souvent extrêmement compliquées à être rentabilisées par la suite. Paris est attendu sur ce point : le gouvernement, la Cour des Comptes et plus généralement le contribuable, regardent et regarderont avec une extrême attention l’utilisation des deniers privés comme publics, parce que personne n’acceptera de dépenser sans retour sur investissement, même si les fonds du Comité d’Organisation des Jeux Olympiques (COJO) sont en l’occurrence privés pour la quasi-totalité d’entre eux. Pour l’instant, tout ce qu’on peut dire, c’est que le budget semble maîtrisé, avec une hausse de cent millions. C’est certes beaucoup d’argent, mais ça reste tout à fait modéré par rapport aux quelques milliards dont on parle.
5 – Merci. On va passer à la dernière partie car nous avons finalement combiné plusieurs questions, mais avant cela avez-vous quelque chose à rajouter à propos des ambitions de la Mairie de Paris pour ces Jeux ?
Oui, à propos des aspects environnementaux. Si l’on revient un peu en arrière, cette question s’est invitée à la table olympique depuis en gros les Jeux de Sydney en 2000, avec des hauts et des bas selon les Jeux qui ont suivi, mais une étape a été franchie quand le CIO a décidé de placer ces questions en haut de son agenda, en haut de ses priorités. D’abord en 2013, dans un document de référence sur l’héritage olympique signé par le CIO, puis l’année suivante lors de la définition de l’agenda 2020 du CIO. Ajouté à la COP 21, on voit bien comment cet impératif environnemental s’est alors imposé à toutes les villes qui candidataient à cette époque, ce qui explique l’importance du dossier pour les événements japonais et français de 2020 et 2024. Peut-on pour autant parler d’un véritable tournant historique du point de vue environnemental avec Tokyo et Paris ? Il est évidemment trop tôt pour en juger car c’est en observant réellement l’organisation des Jeux, tels qu’ils seront, qu’on pourra sans doute estimer ce qui a été fait réellement. Pour l’instant on observe un accroissement de la vigilance sur cette question environnementale d’une olympiade à une autre, et Paris sera sur ce point-là un peu plus exemplaire que les villes hôtes précédentes avec un projet de suppression et de réduction des postes d’émission de carbone et de compensation des émissions résiduelles (un millions et demi de tonnes de CO2). Mais pour autant, peut-on affirmer qu’il y a un virage historique proprement dit ? Je ne le crois pas. Ce virage a été pris antérieurement, il y a une dizaine d’années. Il n’en reste pas moins que ces questions de pollution font l’objet d’une grande attention mais aussi de mesures, qui sont décriées. La vigilance entraîne de la critique et c’est sain, mais ce n’est pas la seule critique que l’on entend sur les Jeux. Le gigantisme, la corruption parfois, la violence que la compétition peut engendrer, le dopage organisé, le mercantilisme etc., la liste est longue. Historiquement il y a aussi le rejet des femmes ou encore le racisme qui sont autant de points sensibles de l’histoire des Jeux qu’on ne peut pas balayer d’un geste et qui nécessitent d’être pris à bras le corps pour voir comment aujourd’hui, dans les dossiers, on traite ces questions. Les critiques encore aujourd’hui, je le lisais ce matin dans la presse, continuent d’être adressées sur tel ou tel point, mais il me semble objectivement que le projet de Paris 2024 prend en compte un certain nombre de ces aspects. Je ne vais pas tous les lister, mais à propos des équipements, il est ainsi précisé que 90 voir 95% des sites existent déjà et ça, c’est une saine réponse à ceux qui estiment qu’il ne faut pas faire du béton pour rien. Sur le droit des travailleurs, une charte sociale s’impose à tous les prestataires, avec un comité de suivi. On peut aussi signaler que les organisations syndicales sont membres du Conseil d’Administration de Paris 2024, que les entreprises de l’économie sociale et solidaire sont mobilisées de façon spécifique, ou encore que la Société de Livraison des Ouvrages Olympiques (SOLIDEO), en charge de la livraison des infrastructures, a adopté en juillet 2018 une charte en faveur de l’emploi et du développement territorial qui oblige à rendre accessible 25% du montant des marchés aux TPE, PME et structures de l’économie sociale et solidaire. Un certain nombre d’autres points montrent que ces questions sont vraiment prises à bras le corps, mais encore une fois il faudra voir à l’issu des Jeux ce qui a été réellement réalisé par rapport au projet initial.
6 – Passons maintenant aux questions portant sur le projet urbain olympique qui sont centrales pour le programme de recherche de la Fondation France-Japon de l’EHESS. Dans le cas de Paris, trois grands pôles ont été dessinés : un pôle se situant au nord en Seine-Saint-Denis, un pôle parisien autour de la Seine et du Bois de Boulogne et qui peut s’étendre jusqu’à la Tour Eiffel pour les installations temporaires, et un pôle qui se situe sur les territoires de Versailles et Saint-Quentin-en-Yvelines. Pouvez-vous nous expliquer le choix de ces pôles, ainsi que sa continuité avec les candidatures de Paris pour 2008 et 2012 qui avaient déjà proposé une partie de ces sites ?
La réponse est double et tient peut-être dans la complémentarité de deux approches : l’une touristique et territoriale, et l’autre plus économique. Parce qu’il y a d’abord un pari de territoire : les Jeux Olympiques et Paralympiques permettent de valoriser les sites où se tiennent les épreuves. Ils permettent aussi de valoriser, indirectement, les sites où la logistique existe. Je ne pense pas ici au village, qui a sa propre logique, mais à d’autres hébergements. La concentration de tout cela dans un même lieu, ou en tout cas dans un espace resserré, présente des avantages en termes de coûts, d’organisation et de sécurisation. Mais la dispersion augmente le potentiel touristique, et donc le défi économique qui est à relever lorsqu’on accueille un tel événement. On voit donc bien une tension entre deux visions qui peuvent être perçues comme contradictoires. Puis, il y a le réalisme économique qui s’est traduit par la volonté de réduire les coûts en s’appuyant sur l’existant, les infrastructures sportives qui étaient déjà là puisque que Paris est une ville qui accueille très fréquemment de grands rassemblements sportifs internationaux, quitte à l’aménager pour Paris 2024 au lieu de construire du neuf. C’était inimaginable par exemple de se passer du vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines, évidemment non. Quand on juxtapose les deux cartes, celle des infrastructures déjà-là et celle des hauts lieux touristiques, cela donne un certain nombre de possibles qu’il a ensuite fallu arbitrer en tenant compte notamment des questions de transport, de sécurité et d’image globale du site. Par ailleurs, cette image a poussé les organisateurs à aller voir jusqu’en Polynésie ce qu’il était possible de faire. À l’échelle d’un habitant de Paris, le constat est celui d’un éclatement. Mais plaçons-nous maintenant à une autre échelle : mettons-nous dans la peau d’un japonais, d’un australien, d’un brésilien ou d’un chinois. On voit bien que la perspective est différente, que la dispersion perçue par un parisien ne saute pas aux yeux. Car vue de loin, la grande couronne parisienne présente toujours une forme d’unité. C’est certes un peu moins vrai pour Lille ou pour Marseille, qui sont deux des autres épicentres des Jeux avec toutes les villes qui accueilleront le tournoi olympique de football et qui, malgré les progrès des transports, peuvent difficilement être perçues comme la banlieue de la capitale. Évidement cela n’a pas non plus de sens pour les vagues de Teahupo’o en Polynésie. Mais on voit bien que ces questions de perspectives permettent aussi des arbitrages différents et qu’à l’échelle du monde, on peut tout à fait faire le pari d’une certaine dispersion entre les différents lieux que vous avez évoqué dans votre question.
7 – Merci, peut-être pouvons-nous revenir un petit peu sur les héritages des candidatures de Paris 2008 et 2012 qui avaient pris quasiment les mêmes sites. Le village de Paris 2008 avait été conçu sur ce qu’on appelle aujourd’hui le Campus Condorcet, où l’EHESS va s’installer dans les mois qui viennent. Le village de 2012 avait été pensé sur le site actuel du Parc Martin Luther King qui héberge dans sa partie nord le nouveau tribunal de grande instance et de nombreux logements avec un parc au milieu. Quelle est la continuité avec ces sites qui ont aujourd’hui une autre vocation mais qui avaient été prédestiné aux Jeux ?
Il y a eu, par rapport aux candidatures précédentes, un certain nombre de ruptures. Des ruptures territoriales avec une claire expansion vers le nord parisien et toute la Plaine-Saint-Denis, pour des raisons d’héritages car, par rapport aux dossiers de 2008 et 2012, c’est un volet qui est beaucoup plus pris en compte par les membres du CIO donc ça doit être plus présent dans les dossiers, et cette question de l’héritage était alors plus facile à traiter dans le 9-3 que dans Paris intra-muros. D’autre part, Paris est une ville qui est extraordinairement fournie en hauts lieux touristiques dont la valorisation relève d’arbitrages : l’endroit où avait été prévu l’hébergement des athlètes et des dirigeants permettait de mettre en valeur ces quartiers, mais il y a eu d’autres arbitrages car c’est une question qui ne s’était jamais posée par le passé aux autres villes candidates, qui n’ont pas la richesse que présente Paris. Il y a même encore d’autres lieux qui auraient pu accueillir le village olympique, intra-muros ou en dehors. La situation ici est tout à fait exceptionnelle. La ville Lumière peut s’enorgueillir d’avoir de très nombreux quartiers à valoriser, qui le sont déjà, sont même connus dans le monde entier, et dans lesquels on aurait pu implanter les sites pour les compétitions ou pour l’hébergement, mais le choix qui a été fait a été de décaler cet enjeu de valorisation en dehors des murs de Paris, tout en conservant l’image parisienne puisque c’est le dossier de Paris 2024.
8 – Au-delà des installations sportives qui vont être utilisées pour les compétitions médiatisées, il y a en tout plus d’une centaine de sites qui ont été sélectionnés pour le cas de Paris. Une partie importante de ces sites recoupent des lieux d’entraînement qui vont se situer dans des gymnases ou des terrains qui existent déjà (par ailleurs il est assez rare de construire de nouveaux équipements pour l’entraînement, à part peut-être un gymnase sur l’Île-Saint-Denis si j’ai bien compris). Il y a donc une occasion grâce aux Jeux de rénover, de moderniser, toute une série d’équipements qui sont directement destinés aux citoyens et finalement utilisés par les athlètes seulement un ou deux mois avec les paralympiques. Donc la question est simple, comment avec Paris 2024 on va rénover et mettre en valeur ces sites d’entraînement pour les Jeux Olympiques et Paralympiques ?
Je répondrai à votre question sur plusieurs niveaux. Le premier renvoie à ce que l’on appelle les « Centres de Préparation aux Jeux olympiques », les CPJ. Depuis maintenant quelques mois, un an, quelques six-cents sites se sont portés candidats pour accueillir potentiellement des délégations désireuses de se préparer aux Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 en France. Ceux qui ont été sélectionnés (ils l’ont été sur la base de critères essentiellement techniques) seront regroupés dans un catalogue et proposés, à partir des Jeux de Tokyo dans quelques mois aux délégations étrangères qui sont à la recherche de sites pour préparer leurs équipes. Ils auront alors entre septembre 2021 et l’été 2024 pour profiter de ces infrastructures qui ont été remises aux normes, quand elles ne l’étaient pas, pour bénéficier de la reconnaissance CPJ par les autorités, à la fois celle du Ministère des Sports et de Paris 2024. La remise aux normes de ces infrastructures est de fait le premier effet des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris. Le deuxième niveau est celui de la restitution des sites Olympiques à la population avec, naturellement ici, un point particulier pour les habitants de Plaine-Saint-Denis puisque c’est là où le centre aquatique olympique avec ses quatre bassins sera construit. On sait que pour ces bassins, la moitié seront rendus pour la pratique sportive, un autre plutôt pour l’apprentissage et le dernier pour les loisirs aquatiques. Il y a donc restitution, clairement, à la population, qui pourra en profiter. Le troisième niveau est plus large encore que la Plaine-Saint-Denis et que l’Île-de-France. Il est lié au label qui s’appelle « Terre-de-Jeux » lancé récemment par Paris 2024 en direction du mouvement sportif mais surtout des collectivités, quelles qu’elles soient, depuis la petite commune jusqu’à la région. L’idée étant d’accompagner les collectivités qui s’engagent à travers plusieurs volets (célébration, héritage, et engagement proprement dit) autour de la perspective des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Dans ces dossiers, il peut y avoir une stimulation d’une dynamique de construction ou d’aménagement et pas simplement des dynamiques de célébration, d’animation ou de sensibilisation. Il peut y avoir de la construction, de l’aménagement ou du réaménagement, par exemple en termes d’accessibilité pour les personnes en situation de handicap. Le label lui-même, qu’une centaine de collectivité a déjà reçu et que d’autres sont en cours de constitution de dossier, induit que celles-ci sont impliquées et cela pourrait avoir un effet notable sur le réseau d’infrastructures disponibles au plan français. Il y a enfin, au-delà des infrastructures, ce qui se joue au quotidien, et cela passe par des mesures qui ne s’arrêtent pas aux équipements et dont on trouve une grande partie dans la liste des cent-soixante-dix actions du plan héritage de l’État, qui a été validé il y a maintenant dix-huit-mois. Prenons l’exemple du label « Génération 2024 » que j’évoquais au tout début de cet entretien et qui a été lancé conjointement en 2017, à la fois par le Ministère de l’Éducation Nationale et par le Ministère des Sports avant leur fusion plus récente au lendemain de la décision du CIO d’attribuer les Jeux à Paris. C’est un label qui vise à développer les passerelles entre l’école et le club, entre l’univers scolaire, universitaire, et le mouvement sportif. Les établissements qui font cet effort de développer une politique d’ouverture, de renforcement de la pratique sportive et d’ouverture vers les clubs, peuvent candidater pour ce label. D’ores et déjà, plus de trois-mille-trois-cents écoles, collèges, lycées et soixante-cinq grandes écoles et universités ont été labellisé, c’est considérable. Cela représente quelques deux millions et demi d’élèves et d’étudiants scolarisés dans des structures dont la politique sportive est ainsi valorisée et renforcée en direction des JOP et qui bénéficient directement ici, au quotidien, de ces politiques. On voit donc, par ces exemples de mesures, que ces actions (lancées par le gouvernement, Paris 2024 ou encore les collectivités) convergent pour changer le quotidien, et que ce quotidien des françaises et des français soit plus sportif. C’est d’autant plus important que le contexte aujourd’hui, vous le savez, est extrêmement compliqué.
9 – En effet, nous pouvons ajouter ce contexte pour la fin. Comment, aujourd’hui, Paris 2024 gère la question de la COVID-19 et du report des Jeux de Tokyo, et quelles sont les conséquences éventuelles dans quatre ans que l’on pourrait imaginer, même s’il est difficile de se projeter dans la situation que l’on connaît ? Quel regard peut-on porter sur Tokyo 2020-2021 depuis Paris 2024 ?
Le premier effet du report des Jeux de Tokyo d’une année a été de concentrer les temps d’action et de communication de Paris non pas sur quatre ans, mais sur trois ans. Je pense notamment aux partenaires engagés d’une olympiade à une autre. Ce qui devait se faire sur quatre ans le sera sur trois années. On imagine donc les négociations et les renégociations que cela suppose avec les sponsors pour que cette différence de 25% du temps consacré à la valorisation, à l’accompagnement, soit prise en compte. C’est un premier effet. Il y a un deuxième effet qui pour l’instant ne prête pas trop à conséquence, qui est celui de la mise à l’arrêt ou du ralentissement de très nombreux chantiers, parce que le contexte ne permet pas à l’économie française de travailler à plein. La question s’est posée pour les chantiers olympiques. Certes, l’essentiel des infrastructures existe déjà, mais il y a énormément à faire encore. Le dossier avait été monté avec une certaine souplesse dans le calendrier, de façon à être prêt quelques mois avant les Jeux de Paris. Cette marge a permis, pour l’instant, de ne pas entrer dans un calendrier trop compliqué car nous sommes encore, sur quasiment tous les dossiers, dans la marge. Mais si la pandémie durait et que l’économie française restait encore dans cette situation pour plusieurs trimestres, alors on pourrait craindre, éventuellement, sur tel ou tel site, des retards. Puis il y a évidemment tout ce que Paris 2024 souhaitait faire en terme de sensibilisation à l’activité physique, toutes les campagnes qui étaient prêtes, souvent d’ailleurs avec les services de l’État comme partenaire, et qui ne peuvent pas être déployées comme on l’aurait souhaité, parce que les installations sportives, les gymnases, ont été un temps fermé, parce que les français ont été de fait réduit dans leur velléité d’activités, maintenant par le couvre-feu, ou par les difficultés à rejoindre par exemple une installation sportive située à plusieurs kilomètres. Ce contexte n’est pas favorable à l’accrochage des campagnes de sensibilisation que les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 auraient pu stimuler, mais espérons que ce n’est que partie remise.
La Fondation France-Japon de l’EHESS remercie Thierry Terret d’avoir accepté notre demande d’entretien et répondu à toutes nos questions.
Cet entretien de quarante minutes a été mené le 15 décembre 2020 par Alexandre Faure, post-doctorant à la Fondation France-Japon de l’EHESS et responsable du projet « Jeux Olympiques et Villes Globales ».
La vidéo originale est disponible en intégralité sur le site du projet « Jeux Olympiques et Villes Globales » (oggc.hypotheses.org) et sur la chaîne Youtube de la Fondation France-Japon de l’EHESS.